Je suis une lesbienne bouddhiste, une femme transgenre, née dans les années 1950 dans le Sud des États-Unis. Lors de mes jeunes années, les chaînes de télévision diffusaient chaque soir des images d'Afro-Américains battus par la police, traînés et menottés, alors qu'ils protestaient pour leurs droits fondamentaux. Ces images ont éveillé en moi un profond désir de justice. Je me suis juré que lorsque je serai adulte, je me battrai moi aussi pour un changement social non violent.
Le mouvement américain des droits civiques a inspiré d'autres mouvements en Amérique, notamment celui des droits des femmes et celui des LGBTQ+. J'ai passé la majeure partie de ma vie adulte à militer dans ces deux derniers mouvements.
Dans ma quête spirituelle, j’ai recherché une pratique qui tout en prônant non-violence et solidarité sociale, accueille les femmes et les personnes LGBTQ+ sur un pied d'égalité. J'ai ainsi trouvé un accueil favorable dans les enseignements du bouddhisme à propos de la libération, et plus particulièrement dans ceux du moine vietnamien Thich Nhat Hanh.
Mon épouse m'a fait découvrir Thich Nhat Hanh en 1987. Elle œuvrait dans une organisation internationale pour la paix, et avait fait la connaissance de ce moine plusieurs années auparavant, attirée par sa façon de prôner l'inclusivité et le bouddhisme engagé. En 1992, nous avons accompli ensemble la première d'une longue série de retraites en son monastère du Village des Pruniers, en France, et par la suite en son Institut européen du bouddhisme appliqué (Allemagne) ainsi qu’en celui de l'Institut asiatique du bouddhisme appliqué (Hong Kong).
Mon épouse et moi avons toujours été ouverts à propos de nos identités lesbiennes, que ce soit en tant qu'individus et en tant que couple. Nous nous sommes sentis soutenus par le sangha de Thich Nhat Hanh. Lorsque ma femme a rencontré Thich Nhat Hanh pour la première fois au début des années 1980, elle lui a demandé explicitement quelle était la perspective bouddhiste pour les personnes homosexuelles. Il lui a posé la question de savoir ce que représentait l'homosexualité pour elle. Il lui a précisé que le bouddhisme n'était pas moralisateur et qu'il n'y avait pas d'interdits à propos de l'homosexualité. Il a rappelé ceci lors de nombreux entretiens avec des étudiants.
Lors d'une conférence sur le Dharma (20 juillet 1998), interrogé à nouveau à propos de l'homosexualité, Thich Nhat Hanh a répondu "...lorsqu'une lesbienne pense à sa relation avec Dieu, dans la mesure où elle pratique en profondeur, elle peut découvrir que Dieu est aussi une lesbienne....Dieu est une lesbienne, j’en suis convaincu, et Dieu est aussi gay. Dieu n'est pas moins. Dieu est une lesbienne, mais aussi un gay, un Noir, un Blanc, un chrysanthème. C'est parce que vous ne comprenez pas cela, que vous faites de la discrimination. Dans le livre « Réponses du cœur » (2009), il écrit : "Vous devez être vous-même. Si Dieu m'a créé comme une rose, alors je m'accepterais comme une rose. Si vous êtes une lesbienne, alors soyez une lesbienne."
À la fin des années 1980, au Village des Pruniers, il était habituel que les pratiquants laïcs rejoignent des groupes d'affinité afin de discuter des enseignements donnés sur le dharma. Un groupe d'affinité était toujours proposé aux lesbiennes et aux gays, et comptait généralement de 10 à 20 pratiquants. Trente ans plus tard, j'ai entendu une jeune praticienne annoncer fièrement qu'elle et d'autres personnes LGBTQ+ avaient récemment formé le premier groupe d'affinité de l'histoire du Village des Pruniers. En 2016, des jeunes non-sensibles au genre ont parlé de l'acceptation qu'ils ont ressentie lorsqu'une religieuse a ouvert une discussion en demandant aux gens leur nom et les pronoms qu'ils préféraient. Le pronom (au pluriel) "They" en anglais est de plus en plus utilisé, car recouvrant tant le masculin que le féminin, les pronoms "il" et "elle" venant en alternance dans les entretiens sur le dharma. Cependant, lors d'une cérémonie officielle de la Communauté où femmes et hommes devaient être assis séparément, au moins une personne non binaire a déclaré ne pas pouvoir y participer. Si la fluidité du genre reflète les enseignements bouddhistes tels que l'impermanence, il convient de réfléchir davantage à la manière d'accueillir pleinement les pratiquants transsexuels, intersexuels et non-conformes au genre.
Les femmes laïques et les nonnes sont majoritaires au Village des Pruniers, et dans les autres centres de pratique, mais le nombre n’est pas toujours un gage d'égalité. Thich Nhat Hanh a opéré de nombreuses réformes pour promouvoir l'égalité des sexes. Les nonnes sont pleinement ordonnées, et les moines et les nonnes partagent toutes les tâches, depuis les enseignements du dharma jusqu’à l'entretien ménager, tout comme le font d’ailleurs les pratiquants laïcs. Lors des cérémonies officielles, plutôt que de suivre les moines, les nonnes marchent côte à côte avec eux. Dans une pratique appelée « Toucher la Terre », lorsque des prosternations sont adressées aux ancêtres, la première bhiksuni Mahagotami est incluse, ainsi que la Terre Mère. Thich Nhat Hanh a également créé 8 "Gurudharmas" pour les moines, afin de compléter les 8 directives pour les nonnes sur l'interaction avec les moines. Alors que traditionnellement, les nonnes et les laïcs ne peuvent pas accéder aux préceptes réservés aux moines pleinement ordonnés, les préceptes des bhikshu et des bhikshuni sont dorénavant publics. Traditionnellement aussi, un moine peut rendre ses vœux à sept reprises. Après avoir rendu ses vœux, une nonne ne peut réintégrer le monastère qu’en tant que novice, et n’est plus en mesure de recevoir l'ordination complète. Dans la tradition du Village des Pruniers, les nonnes peuvent être réordonnées en tant que bhikshunis.
L'OI a commencé au milieu de la guerre. En 1966, au Vietnam, Thich Nhat Hanh a ordonné six adeptes laïcs. Les six jeunes gens, trois femmes et trois hommes, étaient des dirigeants de l'École de la jeunesse pour le service social (SYSS) ; a été mis sur pied un nouveau programme de formation pour les jeunes Vietnamiens qui voulaient travailler au développement rural et au changement social. L'OI était organisé explicitement autour du "bouddhisme engagé", ou de la modernisation du bouddhisme pour répondre aux problèmes sociaux. Au cœur de l'Ordre se trouvaient les 14 préceptes, une refonte des préceptes monastiques et plus particulièrement des vœux de Bodhisattva.
Les membres faisaient le vœu de pratiquer la pleine conscience au moins 60 jours par an. Ensuite, ils acceptaient de pratiquer avec une communauté d'amis. L'un des premiers membres ordonnés, Cao Ngoc Phuong (aujourd'hui la Vénérable Chan Khong), a suivi Thich Nhat Hanh en Occident lorsqu'il a du quitter le Vietnam, et a joué un rôle majeur dans la création du Village des Pruniers.
Aujourd'hui, plus de 2 000 membres de l'OI travaillent sur des questions telles que le racisme, le changement climatique, la pauvreté et l'intolérance. J'ai trouvé un foyer parmi eux, apportant les anciennes connaissances du bouddhisme dans un monde qui a cruellement besoin de compassion et d'action juste.
Shelley Anderson (elle/il) vit aux Pays-Bas. Elle est membre de l'Ordre de l'Interbeing depuis 1994. Elle est la fondatrice du Programme des Femmes Artisans de la Paix, du Mouvement International de la Réconciliation, et a travaillé pendant plusieurs années avec le Service International d'Information lesbien.
Ce texte a été publié dans le journal Ursache und Wirkung, 2021, "Le bouddhisme sous l'arc-en-ciel"