Le bouddhisme en Europe

par Gabriela Frey, Juillet 2017

Lorsque les grands maîtres bouddhistes se rendent en France, leurs disciples de différents pays d’Europe affluent pour les écouter et étudier ensemble leurs enseignements traduits en différentes langues. C’est l’expérience européenne du bouddhisme.

On peut cependant se demander si ces pratiquants bouddhistes « européens » connaissent les conditions de pratique religieuse de leurs condisciples venant des autres pays. En effet, les différentes législations juridiques et sociales, les différents systèmes politiques de chaque pays d’Europe ont des impacts plus au moins favorables sur les religions et courants de pensée, entre autre le bouddhisme. Par ailleurs, les liens qu’entretiennent les gouvernements avec les religions dominantes diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre. En ce domaine, la France tient une place singulière en Europe grâce à sa constitution et à une législation prônant une laïcité reléguant la pratique religieuse de chaque citoyen dans sa seule sphère privée, les Eglises étant totalement séparées de l’Etat.

Les 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, qui tous ont ratifié la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), comptent environ 3 millions de bouddhistes de toutes traditions.

  • L’article 9 de cette CEDH édicte la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit de changer sa religion ou ses convictions, et enfin le droit de manifester sa religion ou ses convictions individuellement ou collectivement, en public ou en privé. Cet article énonce également la liberté de procéder aux cultes et rites, ainsi que la liberté de donner des enseignements doctrinaux.
  • L’article 14 de la CEDH prohibe toutes discriminations dont celle fondée sur la religion.

En y regardant de plus près, on constatera que le degré de reconnaissance du bouddhisme en tant que religion a part entière avec la même considération que les religions historiquement présentes, varie selon l’application qui est faite de la CEDH au sein de chaque Etat membre.

J’aimerais à ce sujet vous donner l’exemple de l’Allemagne qui ne connaît pas la même séparation sévère entre les différentes Eglises et l’Etat. Car le bouddhisme y rencontre des difficultés pour être reconnu comme religion à part entière en tant qu’organisme de droit public (Körperschaft öffentlichen Rechts).

Les Eglises en Allemagne bénéficient de droits spécifiques consacrés par la Constitution de la République fédérale d’Allemagne (23 mai 1949), lesquels ont été inspirés de la Constitution dite de Weimar (11 août 1919).

Les experts considèrent que ces droits présentent un caractère discriminatoire, en particulier dans le domaine du droit du travail, car il permet aux Eglises (elles comptent parmi les plus grands employeurs en Allemagne) de discriminer sans aucune sanction, des employés d’autres croyances. Un employé travaillant dans un hôpital, un jardin d’enfant ou une école, même financés par des fonds publics, mais gérés par un organisme catholique ou protestant, peut faire l’objet d’un licenciement s’il décide de quitter l’Eglise, ou si par exemple il entreprend de divorcer. De même une personne qui n’est pas chrétienne, ne sera pas recrutée dans ces établissements confessionnels, quand bien même s’il ne s’agirait que d’un travail de maintenance ou de nettoyage.

Cette « injustice » institutionnalisée m’a incitée, avec d’autres personnes, à chercher comment je pourrai à l’avenir venir en aide à mes amis bouddhistes en Europe, étant souligné que l’Allemagne n’est pas le seul pays où les minorités religieuses sont discriminées.

Même si une juste et parfaite reconnaissance de toutes les spiritualités est encore lointaine, le chemin est et sera incontestablement à chercher et à trouver au niveau européen.

Après les deux guerres mondiales qui ont dévasté les pays européens, le Conseil de l’Europe a été fondé en 1949 avec le but de pacifier tous ces pays de façon irréversible. Pour ce faire il était nécessaire de les rebâtir sur des valeurs communes et incontournables : les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droits. A côté des gouvernants et élus, la société civile constitue un facteur important du processus démocratique et donne aux citoyens un moyen alternatif, parallèlement à ceux des groupes de pression et des partis politiques, de véhiculer des points de vue différents et de garantir la prise en compte de divers intérêts dans le processus décisionnel politique.

Participant au Conseil de l’Union Bouddhiste Européenne (European Buddhist Union EBU), j’ai entrepris en 2008 les démarches permettant à cet organisme d’intégrer la conférence des Organisations Internationales Non Gouvernementales (OING) du Conseil de l’Europe (CoE). Il a fallu accomplir de nombreuses formalités jusqu’à ce que le Secrétaire Général du CoE valide la candidature de l’EBU, la recommande ensuite aux Comité des Ministres qui lui a finalement conféré le statut participatif le 29 Décembre 2008. Le bouddhisme s’est ainsi vu reconnaître une première fois au niveau européen.

Le statut participatif au Conseil de l’Europe implique entre autres, la participation active dans les assemblées, comités et groupes de travail de la conférence des OING et d’autres organes du CoE. Je me suis très vite rendu compte de l’importance de cette responsabilité, car un vaste travail doit être accompli par une équipe multilingue aux solides connaissances et expériences. Le français et l’anglais sont les langues officielles du CoE, mais il y a une dominante non négligeable de la langue française. A Paris en 2009, lors d’une réunion des unions bouddhistes nationales, j’ai commencé à constituer une équipe autour de moi pour renforcer la représentation des bouddhistes au niveau européen, et assurer sa pérennité.

Depuis lors, avec l’aide précieuse de Michel Aguilar, nous avons mené un véritable travail de pionnier, et avons participé aux trois comités thématiques de la Conférence des OING (droits de l’homme – démocratie – éducation et culture). Nous avons aussi contribué pendant quatre années à élaborer un rapport sur « Droits de l’Homme et Religions », ainsi, entre autres, qu’un texte complexe sur la dimension religieuse du dialogue interculturel. De 2014 à juin 2017, Michel Aguilar a été élu président de la Commission Droits de l’Homme de la Conférence des OING, premier bouddhiste à exercer une responsabilité importante et visible au sein du CoE.

En 2010 un représentant bouddhiste a enfin été invité aux travaux de haut niveau du Comité des Ministres sur la dimension religieuse du dialogue interculturel.

http://www.coe.int/fr/web/cm/exchanges. Une plateforme permanente de ce dialogue est réclamée par l’Assemblée Parlementaire, mais n’obtient pas pour le moment l’accord du Comité des Ministres.

L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne de l’UE (des 27 pays) en 2009, inscrivant l’obligation pour les membres de l’Union européenne d’entretenir un dialogue régulier avec les religions et courants de pensée, marque assurément un important pas supplémentaire. Aujourd'hui, certains pays européens ont donné reconnaissance officielle au bouddhisme, en fournissant même, pour certains, des aides publiques aux unions bouddhistes nationales, comme par exemple la Norvège, la Belgique, l’Autriche et l’Italie.

Dans le contexte actuel et pour mieux préparer l’avenir du bouddhisme en France et en Europe, il nous faut poursuivre sans relâche un travail de qualité. J’espère que nous obtiendrons un soutien appuyé de la part des bouddhistes francophones, non seulement pour pérenniser l’UBF et l’UBE, mais aussi pour favoriser une reconnaissance égale du bouddhisme dans tous les pays en Europe.

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